Beau métier, si j’avais une plume, un endroit pour m’exprimer par écrit et un lectorat, quel bonheur. Je sais que cet « endroit » maintenant est une capacité à surfer sur tous les réseaux existants en proposant un contenu régulier et homogène. Etre même un écrivain sans livres, juste une personne dont les articles ou les poèmes seraient lus sur les réseaux sociaux ou dans un média. Les écrivains lus ne mesurent pas leur chance, la joie de laisser une trace, la possibilité d’être pris au sérieux. Ils écrivent souvent des bêtises, des contre vérités, des opinions forgées à l’emporte pièce, mais ils ont prises sur le temps qui passe, ils l’accompagnent. Ils n’écrivent pas dans le vide car ils ont une visibilité.
Une plume, un style de chroniqueur à part. Je suis très fan d’Alexandre Vialatte. Ses chroniques dans la Montagne, sont des objets volants non identifiés. Il a pu bénéficier longtemps de cette fenêtre ouverte pour laisser parler son imagination et sa culture. Peu de journaux oseraient cela aujourd’hui. A la première lettre de lecteur hostile qui ne comprendrait rien, on retirerait la rubrique.
Si l’on est pas écrivain, bien sur, on peut méditer, et se taire, trouver la plénitude au delà des mots, dans la contemplation de l’instant ou dans un autre geste artistique, ces choix peuvent en contenter certains. Mais les traces matérielles du sculpteur ou du peintre sont plus dépendantes de la matière et de son éphémère existence, elles s’accumulent au fond des ateliers, deviennent tristes. Elles restent fragiles dans une galerie, dans un musée exposées aux aléas du temps. L’écriture se rapproche plus de la musique. La musique coléreuse de Céline traverse le temps, l’agencement de ses mots permettent de réveiller des bateaux qui n’existent pas remplis de fantômes, aucune limite à sa capacité d’évocation.
L’écriture doit venir du corps, des poumons de la parole intériorisée. Les paragraphes sont les vestiges d’une parole qui souvent n’a jamais eu lieu. Même un journaliste peut glisser un peu d’humanité dans ses papiers, un peu de vie.